Dans quelle mesure pensez-vous qu'il soit important d'établir un lien avec vos sujets lorsque vous réalisez un film ?
« Cette étape est essentielle à mes yeux. J'ai entamé ma carrière de directrice de la photographie par de la photographie statique, inspirée par Henri Cartier-Bresson. Ses mots "Photographier c'est mettre sur la même ligne de mire la tête, l'œil et le cœur" continuent de résonner en moi. Pour établir un lien avec ses sujets, il faut d'une part comprendre leurs point de vue, mais également créer un espace au sein duquel ils peuvent ressentir des émotions, être vus et entendus. Cet alignement de la tête, de l'œil et du cœur nous rappelle que l'art de la cinématographie dépasse le domaine visuel : il engage nos émotions lorsque nous plongeons au cœur de l'univers de notre sujet. Selon moi, cet engagement continu en termes d'empathie et de connexion n'est pas seulement une technique, il fait partie intégrante de l'art cinématographique (et de toute l'expérience humaine) qui fait vivre chaque cliché et chaque récit. »
En plus d'être derrière la caméra, vous réalisez et produisez également des œuvres. Pouvez-vous nous parler d'un film que vous avez réalisé ?
« La première du premier film que j'ai réalisé, "Vétérans", a été présentée lors du Festival du film de Jérusalem en 2013. Ce film relate l'histoire des vétérans de la Seconde Guerre mondiale, qui ont débuté comme soldats dans l'Armée rouge et sont devenus des immigrants déracinés, se battant pour avoir une place au sein de la société. Ces soldats de l'Armée soviétique, qui ont vécu la guerre la plus sanglante du 20e siècle, ont immigré en Israël après l'effondrement de l'Union Soviétique et se sont retrouvés au sein d'une société totalement indifférente à leur passé glorieux. Ce film explore les thèmes de l'immigration, de l'héroïsme et de la vieillesse, offrant un portrait intime d'individus qui se perçoivent encore comme des héros, mais dont l'importance est remise en cause dans une société qui valorise d'autres formes d'héroïsme. Il relate également le retour de ces soldats sur les lieux où ils se sont battus, mettant en lumière la tension entre leurs souvenirs et la réalité du moment présent. »
Quel est l'un des aspects les plus gratifiants de votre travail ?
« J'apprécie énormément les nouveaux univers – sociaux, visuels et textuels – que mon travail en tant que directrice de la photographie me permet d'explorer, ainsi que les précieuses connexions humaines qu'il m'apporte. Par exemple, j'ai tourné un film appelé "Raël le prophète et les aliens", qui raconte l'histoire d'un homme connu pour avoir rencontré des extraterrestres 50 ans auparavant, qui l'ont désigné comme le "dernier prophète". Si je ne faisais pas ce travail, aurais-je la chance de pouvoir croiser des "prophètes" dans ma vie quotidienne ? Nous avons filmé des historiens et des érudits religieux, voyagé au Burkina Faso et rencontré une communauté d'individus incroyables qui vivent sur place et croient en ce même prophète. Mais notre aventure ne s'est pas arrêtée là : nous avons également voyagé au Japon, au Canada, au Mexique, à Taïwan et dans bien d'autres pays. Grâce à un seul film, j'ai eu la chance de rencontrer de nombreuses personnes unies par un thème commun, chacun offrant des points de vue, des idées et des histoires de vie différentes. Au-delà du plaisir de voyager, j'ai eu l'opportunité de discuter avec des personnes issues de milieux divers, des rencontres qui m'ont chacune permis d'apprendre et de me perfectionner. Je me considère extrêmement chanceuse de vivre des moments aussi riches grâce à mon travail. »
Avez-vous déjà subi une forme de discrimination en tant que femme dans un milieu et un rôle dominés par des hommes ?
« J'ai grandi au sein d'une famille qui valorisait l'égalité. Ma mère, économiste, est une femme d'une force incroyable. Mon père est ingénieur aéronautique. Mes deux parents m'apportent beaucoup de soutien et d'encouragement. Pendant mon enfance, je n'ai jamais connu la notion de rôles réservés aux hommes ou aux femmes. Depuis mes années de maternelle, mon père et moi avions pour loisir de démonter et de remonter des radios, et même de les souder. Je n'ai jamais eu peur des tâches techniques, ni d'être dictée par la notion de genre sur ce que je pouvais réaliser ou non. Lorsque je repense à mon parcours, je reconnais le privilège d'avoir reçu cette éducation, et la chance d'établir, dès le début de ma carrière, des liens importants avec des personnes remarquables qui valorisaient réellement mes compétences. En tant que directrice de la photographie, j'ai été tardivement confrontée à la véritable notion de disparité entre les sexes ou à des réflexions du type "Tu peux vraiment faire ça en tant que femme ?", "Laisse-moi te montrer comment faire..." ou "C'est le salaire que je proposerais à un bon photographe masculin, c'est vraiment ce que tu demandes ?". Des réflexions qui me donnent le sentiment de devoir mettre au défi mes compétences en fonction de mon genre et non de mon mérite. Le combat contre les discriminations sexistes est perpétuel, mais je crois en un avenir où le talent et le mérite triompheront sur les préjugés et c'est ce qui me permet de garder ma motivation. J'évolue dans un milieu où les individus sont jugés en fonction de leurs compétences et de leurs contributions, plutôt que sur des notions préconçues liées au genre. »
Dans quelle mesure vos expériences personnelles ont-elles façonné votre façon de réaliser des films ?
« Ce sont les expériences de vie qui font de nous ce que nous sommes. Ayant grandi dans un pays avant de déménager dans un autre en étant encore enfant, je ne me sentais clairement pas à ma place. Lorsque nous avons emménagé à Tel-Aviv, il y avait peu d'immigrants parlant le russe dans notre quartier, et je me suis retrouvée à l'école élémentaire sans savoir parler la langue et sans repère familier. D'un côté, j'emménageais dans un endroit où les gens étaient sympathiques et ouverts d'esprit, de l'autre, je ressentais un profond sentiment de différence, étant étrangère, complètement "autre". Je pense que cette expérience a profondément influencé la personne que je suis devenue ainsi que la façon dont je réalise mes films, en établissant un lien avec mes sujets au niveau des yeux, quel que soit l'endroit où je me trouve. Cette méthode n'est pas une décision consciente, elle fait partie intégrante de la personne que je suis devenue. »