Financement d'un documentaire : des réalisateurs partagent leurs meilleurs conseils

Michaël Zumstein, Camille Millerand et Irene Baqué, précédents lauréats de la Bourse Canon du documentaire vidéo court métrage, partagent leurs expériences.
Sur cette photo extraite d'un court métrage documentaire réalisé par Irene Baqué, quatre femmes âgées, avec des masques de beauté appliqués sur le visage, sont assises devant un mur rouge et jaune.

Le court métrage d'Irene Baqué, financé grâce à la Bourse vidéo Canon, retrace l'histoire de 14 travailleuses du sexe retraitées qui vivent dans le refuge de Casa Xochiquetzal à Mexico. Dans cette scène, certaines femmes portent des masques de beauté pendant une séance de soins esthétiques. « Lorsqu'elles étaient ensemble, elles discutaient entre elles et j'ai adopté une approche plus axée sur l'observation », confie Irene. © Irene Baqué

Très peu de gens se lancent dans la réalisation de documentaires pour devenir riches ou célèbres. Ce qui anime un réalisateur de documentaires, c'est le fait de pouvoir dévoiler des histoires qui comptent et de les partager avec le monde entier. Le public est de plus en plus nombreux à regarder les documentaires grâce aux docu-séries diffusées sur les plateformes de streaming, qui rivalisent avec les superproductions les plus importantes en termes de nombre de vues. Mais cela ne vient pas du jour au lendemain.

Lancée en 2020, la Bourse Canon du documentaire vidéo court métrage aide les photojournalistes et vidéastes émergents dans le monde à se lancer, grâce à une bourse et un prêt d'équipement Canon pour tourner un court-métrage sur un sujet social, économique, politique ou culturel. Dans cet article, Michaël Zumstein, Camille Millerand et Irene Baqué, les trois précédents bénéficiaires de la bourse, parlent de leurs expériences pour financer et réaliser leurs projets.

Dans une cour ombragée, un homme vêtu de noir tient un prix, aux côtés de deux hommes et d'une femme qui sourient face à l'objectif. Il s'agit de Jean-François Leroy, Claire-Anne Devillard, Michaël Zumstein et Lucas Menget.

Premier lauréat de la Bourse vidéo Canon, Michaël Zumstein (ici vêtu d'une chemise noire, son prix à la main) a assisté à la première de son film documentaire lors du festival Visa pour l'Image en septembre 2022. On le voit ici avec (de gauche à droite) Jean-François Leroy, Directeur général de Visa pour l'Image, Claire-Anne Devillard de Canon France et Lucas Menget, membre du jury de la Bourse vidéo Canon et Directeur éditorial adjoint de Franceinfo. © Sébastien Riotto

Quelle est votre expérience documentaire et comment avez-vous financé ce projet ?

Irene : « J'ai travaillé en interne comme documentariste à The Guardian pendant six ans avant de me mettre à mon compte en tant qu'indépendante en 2019. Lorsque vous travaillez pour un journal, ils veulent couvrir certaines histoires et je souhaitais découvrir mon propre style, réaliser des missions plus longues et passer davantage de temps avec les sujets. »

Camille : « J'ai coréalisé Derwisha, un autre documentaire avec Leïla Beratto. Le film raconte l'histoire d'une maison de deux étages sans toit située à 30 km d'Alger dans laquelle ont vécu près de 30 personnes, majoritairement des Camerounais et des Ivoiriens, au cours de leur périple vers l'Europe. Nous avons financé le projet nous-mêmes pendant trois ans avant de nous associer à Lumento Films, une société de production française, pour le montage, l'étalonnage des couleurs et la post-production. Bien souvent, je réussis à financer mes repérages par le biais de commandes de photos de la presse, ce qui me permet de rédiger une note d'intention, puis j'essaie de rencontrer des producteurs. Par ailleurs, l'obtention de bourses d'études liées à la photographie me permet de passer à un projet de film documentaire. »

Michaël : « Je réalise généralement des films documentaires pour la télévision, notamment France Télévisions et ARTE. Je collabore toujours avec un producteur qui gère le financement et le budget, et il se charge de trouver une chaîne télévisée pour financer le projet. En général, il planifie tout avant que vous ne commenciez le tournage, à savoir les dépenses, les frais de déplacement et les salaires. En tant que vidéaste indépendant, vous ne fonctionnez pas comme une entreprise. Vous ne pouvez donc pas verser de salaires ni payer de taxes. Les budgets des chaînes télévisées sont plus élevés que ceux du photojournalisme. Les enjeux sont donc plus importants. Une chaîne ne prendra pas le risque de choisir un réalisateur indépendant. En cas de problème lors du processus de réalisation susceptible de vous faire perdre de l'argent, le producteur le gère. J'ai toujours travaillé avec le même producteur, en l'occurrence mon épouse et ses collègues. Avec un producteur, ce n'est pas qu'une question d'argent. Il s'agit également de travailler avec une personne de confiance. »

À quoi les réalisateurs consacrent-ils leur budget ?

Irene : « Ils le consacrent aux billets d'avion, à l'hébergement et au recrutement du preneur de son et de l'accompagnateur. Je monterai mon projet actuel seule, mais je dépenserai un peu plus sur l'étalonnage des couleurs et la création sonore. »

Michaël : « Dans mon dernier projet, j'ai consacré mon budget aux déplacements et à l'hébergement pour deux voyages, le premier d'une durée de six jours et le second d'une durée de deux semaines et demi. Les choses peuvent prendre du temps lorsque vous travaillez en Afrique, en raison des nombreuses démarches administratives à réaliser. Le financement a également permis de payer mon accompagnateur et un monteur. »

Camille : « Ils le consacrent aux repérages, à la location de microphones, à l'écriture des séquences avec un scénariste documentaire, et en ce qui me concerne, j'ai passé mon temps à écrire une séquence pour une version du film de 52 minutes. Ce fut un luxe de prendre le temps d'écrire. Mais cela nous a ouvert des portes en nous permettant d'accéder à la société de production 416 Prod, et à celle d'ARTE. »

Deux personnes se penchent pour observer l'écran d'un appareil Canon.

Étudier la photographie ou le cinéma ?

Le programme Canon Future Focus met en relation les étudiants en photographie et en réalisation cinématographique et la communauté professionnelle.
Sur cette photo extraite du court métrage documentaire Les invisibles de Camille Millerand, financé grâce à la Bourse vidéo Canon, un jeune homme dans une petite pièce, vêtu d'une chemise noire, ouvre un casier.

Les invisibles de Camille Millerand met en lumière le quotidien de travailleurs clandestins qui, en dépit de leur statut, jouent un rôle majeur dans l'économie française. Makan (illustré sur la photo) travaille dans les cuisines d'une brasserie parisienne chic sur les Champs-Elysées. « Sur cette photo prise dans le vestiaire, Makan termine son service dans le restaurant dans lequel il travaille », explique Camille. « Il est 3 h du matin. » © Camille Millerand

Deux femmes, l'une tenant une caméra et l'autre un micro, filment un homme dans une petite chambre, prenant des vêtements dans une garde-robe et les posant sur un lit bas.

Irene Baqué, lauréate de la Bourse vidéo Canon, réalise et filme elle-même une scène pour son documentaire, avec Karina Villaseñor, preneuse de son. Elle a choisi une caméra Canon EOS C70, dont elle fait l'éloge pour sa taille compacte et son rendu cinématographique. © Paula Vilella

Qu'est-ce qui vous a incité à présenter votre candidature à la Bourse vidéo Canon ? Et qu'avez-vous ressenti lorsque vous l'avez obtenue ?

Irene (lauréate en 2022) : « J'ai seulement découvert en 2021 que vous pouviez présenter votre candidature à des bourses dédiées aux documentaires. Comparativement à d'autres, la Bourse vidéo Canon est relativement ouverte en termes de propositions. J'ai donc décidé de me présenter avec une histoire que je souhaitais filmer au Mexique. J'ai été ravie de l'obtenir. J'ai, depuis lors, réussi à décrocher plusieurs bourses pour financer mes documentaires. Le montant n'est jamais très élevé. J'investis donc généralement la totalité de la bourse dans une bonne équipe pour tourner le film et équilibre mon revenu en réalisant des publicités. Je conseillerais aux jeunes réalisateurs de systématiquement essayer de trouver des missions en complément pour équilibrer leurs revenus et de rechercher des bourses en ligne. »

Camille (lauréat en 2021) : « Je ne pouvais pas le croire. J'ai été tellement surpris de l'avoir obtenue. Avant de présenter ma candidature, nous recherchions des lieux en les finançant nous-mêmes. La bourse a changé cela. »

Michaël (lauréat en 2020) : « J'étais aux anges. La procédure de candidature était tout à fait fluide, contrairement au processus fastidieux que vous devez suivre pour qu'une chaîne télévisée accepte un documentaire. Ce fut la première bourse que j'ai obtenue pour un documentaire. Au cours de mes 20 années d'expérience en tant que photojournaliste, j'ai utilisé un Canon pour prendre des photos, et j'ai eu envie de découvrir leur équipement vidéo. »

Parlez-nous des films que vous avez réalisés grâce à la Bourse vidéo Canon et de la manière dont vous les avez tournés ?

Camille : « Mon film raconte l'histoire de Makan Baradji, un travailleur malien qui a deux emplois, un en tant que plongeur dans les cuisines d'une brasserie et un autre en tant que livreur à Paris. Nous l'avons suivi pendant une année au cours de laquelle il a obtenu ses papiers et retrouvé sa famille qu'il n'avait pas vue depuis quatre ans. »

Irene : « J'ai filmé les résidents de Casa Xochiquetzal [un refuge pour travailleuses du sexe retraitées] à Mexico grâce à un accompagnateur, avant de remporter la bourse, mais je n'avais pas encore rencontré les femmes à ce stade. J'avais l'habitude de réaliser toutes les prises de vue seule, puis je me suis mise à mon compte et j'ai commencé à collaborer avec des directeurs de la photographie et à utiliser des caméras plus grosses. Mais ce documentaire était plus personnel et ma relation avec les femmes faisait partie intégrante de l'histoire. J'ai donc recommencé à filmer seule, mais avec un preneur de son et un accompagnateur. J'ai interviewé les femmes âgées dans leur chambre et les ai filmées en adoptant une approche reposant sur l'observation. »

Michaël : « J'avais envie de découvrir comment les entreprises chinoises travaillent en Afrique de l'Ouest. Je voulais rendre compte de la situation des jeunes au Sénégal, une ancienne colonie française, qui ne se sentent pas liés à la France, mais se tournent désormais vers la Chine pour trouver du travail. J'ai pensé que le moyen le plus efficace pour illustrer ce phénomène était de suivre des étudiants sénégalais qui apprenaient le chinois à l'Institut Confucius de Dakar. J'ai engagé Abdullai, un accompagnateur, comme assistant, traducteur et chauffeur. Un jour, alors que j'étais très malade et allongé par terre, il a tout géré selon mes instructions. Sans lui, je n'y serai pas parvenu ! »

Une femme âgée, portant un haut bleu et une écharpe, tient un morceau de tissu sur le côté de la photo, extraite d'un court métrage documentaire réalisé par Irene Baqué.

« Les femmes qui vivent dans le refuge de Casa Xochiquetzal se sont battues pendant 20 ans pour trouver un endroit dans lequel passer leur retraite lorsqu'elles ne pourraient plus travailler », raconte Irene, qui est allée à leur rencontre en sachant précisément comment elle réaliserait le film, mais a fini par « suivre le mouvement ». En réalité, la version finale du film a un aspect comique qu'Irene n'avait pas prévu. « Je pensais qu'il serait plus dramatique. Mais bon nombre de ces femmes sont fières de leur vie. Je pense que si elles ont vécu des traumatismes, l'humour les a aidées à en guérir. Elles font toujours des blagues entre elles. » © Irene Baqué

Sur cette photo extraite du court métrage documentaire Les invisibles de Camille Millerand, une personne regarde un match de football sur son téléphone.

Camille, basé en France, s'est fait un nom en tant que photojournaliste travaillant pour des journaux tels que Le Monde. Ses photos et vidéos l'ont mené en Algérie, en Côte d'Ivoire et au Cameroun. Sur cette photo, Makan, le principal sujet du court métrage documentaire de Camille, regarde un match de football sur son téléphone pendant une pause au travail. © Camille Millerand

Dans quelle mesure le choix de l'équipement a-t-il été important pour obtenir les résultats souhaités ?

Irene : « La Canon EOS C70 m'a beaucoup plu en raison de sa taille compacte, bien que ce soit une caméra cinéma équipée d'un objectif Canon CN-E24mm T1.5 L F. Pour moi, il était important de montrer comment les femmes vivaient et avaient organisé leurs pièces. Cet objectif fixe grand angle était donc idéal pour se déplacer dans un espace réduit. »

Camille : « Nous avons tourné avec la Canon EOS C70 et deux objectifs : un Canon RF 24-70mm F2.8L IS USM et un RF 70-200mm F2.8L IS USM. Nous avons préféré l'EOS C70 qui est équipée d'une entrée mini-jack stéréo, et choisi les objectifs 24-70 mm et 70-200 mm pour leur complémentarité. Le premier, pour les plans larges et moyens qu'il permet d'obtenir, et le second pour capturer les gestes dans la cuisine et les expressions sur le visage de Makan. »

Quels conseils pouvez-vous donner concernant le financement d'un film documentaire ?

Camille : « Pour fixer un budget et gérer tous les aspects du film, mieux vaut travailler avec une société de production. Vous ne pouvez pas tout gérer seul. Vous devez vous concentrer sur l'histoire que vous racontez. »

Michaël : « Lorsque vous réalisez un court métrage documentaire comme celui-ci, vous disposez de peu de temps. Vous devez donc être très organisé. Commencez par faire un voyage de repérage pour trouver vos personnages. Assurez-vous d'avoir intégré tout ce dont vous avez besoin dans votre budget. Et maîtrisez votre équipement. Vous devez faire confiance à votre caméra et à votre micro parce que vous ne pouvez pas vous permettre de perdre une journée en cas de panne. »

Un homme debout sur une colline, avec une caméra Canon sur un trépied. Une ville très vaste s'étend au loin derrière lui.

Exigences des festivals de cinéma : que faut-il faire pour se qualifier ?

Marcel Mettelsiefen, réalisateur, partage ce qu'il a appris de la gestion du parcours festivalier grâce à Watani: My Homeland, son court-métrage documentaire nominé aux Oscars.
Sur cette photo extraite du court métrage documentaire de Camille Millerand, Les invisibles, des voitures descendent les Champs-Élysées la nuit.

Makan travaille près de l'Arc de Triomphe à Paris. Une version de 52 minutes du documentaire sera diffusée durant l'été 2023 sur ARTE, une chaîne télévisée franco-allemande. « Je ne sais pas ce qu'il se passera ensuite, mais ce qui est certain, c'est que j'aimerais vraiment continuer à raconter des histoires qui s'inspirent de la réalité en réalisant des films », conclut Camille. © Camille Millerand

Avez-vous des conseils cinématographiques à donner aux réalisateurs en termes de budget ?

Irene : « Il y a des choses simples que vous pouvez faire, notamment exploiter la lumière disponible. Réfléchissez à l'endroit où vous positionnez les gens dans la pièce. Installez-les près d'une fenêtre, ouvrez ou fermez les rideaux et les portes, allumez une lampe de chevet ou une autre lampe. Ceci, associé à une gradation des couleurs, permettra d'obtenir un rendu plus cinématographique. »


Pour en savoir plus sur la Bourse Canon du documentaire vidéo court métrage, consultez notre article Bourse vidéo Canon.

Rachel Segal Hamilton

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