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Nick Nichols au sujet de l'éthique de la mise en scène dans les photographies d'animaux sauvages
« Voulez-vous présenter vos photographies comme des situations réelles ou fabriquées ? » Maître Canon et ancien rédacteur-consultant pour le National Geographic, Michael « Nick » Nichols nous donne son avis tranché sur la manipulation des images de la faune sauvage : « Ma volonté est de réaliser des images aussi vraies et aussi sauvages que possible ».
Il ne s'agit pas seulement d'une question purement théorique. La manipulation d'image peut avoir un impact concret sur les revenus d'un photographe. La biologiste américaine de la vie marine, Nancy Black, a ainsi été condamnée à verser une amende de 12.500 $ pour avoir nourri des orques sur un tournage vidéo.
Au fil des décennies, Michael Nichols, dont l'œuvre sera célébrée au cours d'une exposition sur le stand Canon au festival Visa Pour l’Image 2017 à Perpignan, a été témoin des modifications technologiques qui ont révolutionné la photographie. Malgré tout, il nous explique que le cœur de sa mission est de « préserver le caractère sauvage authentique »...
Respectez-vous un code déontologique lorsque vous photographiez des animaux sauvages ?
« Je crois que, dans la mesure où je n'ai pas fait mes débuts comme photographe animalier, mais comme photojournaliste, j'avais en tête ce précepte selon lequel je devais toujours être en mesure de révéler ce que je faisais, sans aucune possibilité de dissimulation. Lorsqu'on travaille pour le National Geographic et que l'on a en face de soi un éditeur qui met en jeu 100 ans de crédibilité pour nous publier, cela va forcément entrer en ligne de compte dans le processus d'édition et de création. En ce qui me concerne, il s'agissait toujours de l'idée de divulgation : étais-je en mesure d'expliquer à tous comment j'avais réalisé mes photographies ? Il me semblait tout simplement impensable de faire quelque chose que je n'aurais pas pu assumer. »
Qu'est-ce qui joue un rôle moteur dans votre quête d'authenticité ?
« Le fait de réaliser des images aussi réelles et sauvages que possible. Je ne cherche pas à apprivoiser mon sujet, parce qu'on ne peut pas apprivoiser un tigre ou un léopard. Il est possible de s'habituer à leur présence, mais cela n'a rien à voir avec le fait de les apprivoiser. La notion d'apprivoiser me paraît complètement étrangère. »
L'utilisation d'appâts pour attirer les chouettes est une pratique répandue. Où placez-vous la limite à ne pas franchir ?
« Si je parvenais à réaliser une photographie de chouette lapone avec une souris, cela figurerait dans la légende accompagnant la photo. Il ne me viendrait jamais à l'esprit de faire croire que mes réflexes et mon talent de naturaliste sont si exceptionnels que je suis parvenu à repérer une chouette lapone et à la photographier au moment où elle attrapait une souris. L'exactitude de ce type de photos tend à me faire supposer que la souris a été placée là intentionnellement par le photographe et que la mise au point était verrouillée dessus. Je crois qu'il faut avoir particulièrement conscience de la manière dont votre travail va être perçu. »
La manipulation des images semble de plus en plus répandue. Qu'est-ce qui est acceptable ?
« Vous ne pouvez pas déplacer un pixel. En principe, une photographie sert à témoigner d'un événement qui a eu lieu, et non d'un événement imaginaire. Lorsque vous voulez réaliser des tirages, vous avez besoin d'une certaine profondeur. Dans ce cas-là, vous allez modifier la teinte, le contraste et la saturation, mais toujours dans les limites de ce que vous avez vu ce jour-là. Si le ciel devient menaçant alors qu'il n'y avait aucune tempête en vue lorsque vous avez pris votre photo, c'est que vous êtes allé trop loin. »
Une photographie sert à témoigner d'un événement qui a eu lieu, et non d'un événement imaginaire.
Pour quelle raison avez-vous eu recours à un mini tank robotisé pour photographier les lions du Serengeti ?
« Mon objectif était de ne pas déranger les animaux. Nous l'avons donc placé parmi eux pendant qu'ils dormaient, et ils n'y ont tout simplement pas prêté attention. » Recherchez-vous une interaction avec l'animal ou essayez-vous de le photographier pendant qu'il s'adonne à ses activités habituelles ? « Je n'ai pas publié les clichés qui montraient la curiosité des animaux, parce que ce n'était pas l'effet recherché. »
Pensez-vous que la technologie a quelque peu brouillé les repères éthiques en matière de photographie d'animaux sauvages ?
« Grâce à la technologie, nous allons pouvoir prendre des photos plus intimes, mais il ne faut pas trahir son éthique. Au contraire, il faut se servir de la technologie pour la renforcer. »
Que pensez-vous de l'éco-tourisme et des safaris photo ?
« L'une des choses les plus odieuses qu'il est possible de faire est de se rendre sur la rivière Mara lors de la migration, car aucun contrôle n'est effectué sur les emplacements des voitures. Un guépard peut se retrouver encerclé par des gens et dans l'incapacité de chasser, tandis que des gnous risquent de ne pas parvenir à traverser parce qu'ils sont effrayés par les véhicules. Des contraintes devraient être imposées. »
Quelles ont été les avancées les plus intéressantes en matière de technologie optique et photographique ?
« Les composites. Mes photographies composites de séquoias en sont un exemple ; cette photo était irréalisable à l'époque de la pellicule. À mes débuts en tant que photographe, tout était chromé, mon style s'est dessiné à partir des limitations imposées par ma pellicule. Je souhaite simplement que la présence de la technologie serve mes intérêts créatifs. Les capteurs devenant plus délicats, je n'ai plus eu besoin d'utiliser autant d'éclairage, et la vitesse d'entraînement du moteur a atteint un seuil quasi-cinématographique. Aujourd'hui, les possibilités sont illimitées. »
Je m'efforce de rendre ma photographie aussi intéressante que possible, sans la dénaturer.
Quel est le message que vous voulez transmettre à travers votre nouveau livre intitulé « A Wild Life, A Visual Biography of Photographer Michael Nichols » ?
« Quel que soit votre milieu d'origine, vous pouvez accomplir votre rêve. Je suis issu d'un milieu pauvre, j'ai rêvé et tout s'est réalisé : amour, travail et mission. »
Pouvez-vous nous citer quelques-uns de vos photographes favoris, gardiens d'une certaine éthique ?
« Steve Winter, qui s'en tient à son sujet et trouve le moyen pour réaliser l'impossible. Ce sont les jaguars qui lui ont valu sa renommée au National Geographic. 20 ans plus tard, il continue à les photographier et est infatigable dans la création de récits sur les félins. Pour tout photographe défenseur de l'environnement, la possibilité de vivre auprès de prédateurs est essentielle. »
D'autres photographes ?
« Charlie Hamilton James : il est passionné de technologie et nous donne à voir ce qui passerait autrement inaperçu, tout en établissant des ponts entre son engagement pour la préservation de l'environnement et ses récits. Je pense également à Brian Skerry, qui apporte une touche brute de sauvegarde de l'environnement dans ses photos marines. Ses photos nous font réfléchir et sont susceptibles de faire évoluer les comportements. Du fait de leur forte exposition médiatique, ces trois photographes n'ont d'autre choix que de suivre la même règle que moi : celle de ne rien dissimuler. La pression exercée par les pairs peut devenir une véritable force motrice. »
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